Article paru initialement sur https://paris-luttes.info/expulsion-gardes-a-vue-et-proces-18005
Le 1er novembre dernier, la manif du début de la trêve hivernale à Montreuil, s’est achevée dans la cour d’un nouveau squat d’organisation politique. Le squat, situé rue de la Fédération dans un bâtiment des impôts désaffecté, a été expulsé quelques jours plus tard, le 7 novembre. 7 personnes ont été arrêtées dans la rue, devant le squat et 5 personnes ont été arrêtées à l’intérieur. Ce texte raconte ce qui s’est passé à l’intérieur du squat, puis en GAV, et donne quelques éléments du dossier. Les 7 personnes de l’extérieur sont sorti-es sans suite, dont 2 sous X. Les 5 personnes de l’intérieur passent en procès le 15 mars.
On a voulu écrire ce texte parce que les expulsions s’enchaînent, qu’on squat des apparts, des maisons ou des gros bâtiments vides – comme celui des Lilas ou celui-là. On pense que c’est important de discuter de pourquoi et comment ces expulsions s’organisent, de parler des GAV et des procès qui s’en suivent.
C’est aussi un moyen pour nous de rappeler que le 15 mars prochain à Bobigny a lieu le procès des 5 potes. Un report sera demandé par les avocates et sera probablement accordé (mais pas sûr à 100%).
C’est aussi une manière de faire de ce procès (et des autres) ceux de la loi Kasbarian, maintenant ministre de la propriété privée, qui nous ont fait sacrément chier.
On veut mentionner que la loi Kasbarian c’est, à notre connaissance, 3 procès de squat (1 à Marseille et 2 dans le 93) depuis le début de son application. Depuis, d’autres squats tiennent toujours, des nouveaux ont ouvert et des squats se sont fait expulsés sans avoir besoin de la loi Kasbarian la renardiere en novembre, et un squat au KB en février.
Perquiz, expulsion, interpellation, ou tout ça en même temps
« C’est le 6e matin après la visibilisation du squat lors d’une manif à faire cauchemarder les bourgeois.es. On s’y est attaché.es, à ce bat et on a envie d’y croire! On a du mal à capter si et comment la loi Kasbarian va être appliquée, mais on sait que la pref du 93 a les nerfs contre les squats, et que la mairie communiste de Montreuil ne nous aime pas plus. On dérange. Surtout avant les Jeux Olympiques.
Un des gros enjeux c’est de savoir si le squat peut tenir passé les 8 jours après l’ouverture de l’enquête de flagrance. D’ailleurs, les flics ont dit à une voisine qu’après 7 jours iels ne pouvaient plus nous expulser. On ne sait pas si c’est vrai.
Le mardi 7 novembre vers 7h, 2 sections de CRS, la BI, les pompiers (qui décidemment à Montreuil passent un sacré paquet de temps à expulser débarquent devant le bât pour expulser tout le monde, sous la surveillance attentive de 2 drones.
On a appris avec l’expulsion de la baudrière, puis du squat des Bara, que l’utilisation de drones implique la publication d’un arrêté préfectoral (très exactement nommé : «arrêté autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs»). C’est un bon indicateur d’une expulsion à venir. Si tout le monde peut les consulter parce qu’ils sont publiés sur internet, on s’est quand même re-fait avoir. Un arrêté paru la veille de l’expulsion mentionnait, à Montreuil, un «bâtiment désaffecté appartenant au Ministère de l’Économie occupé illégalement par une cinquantaine d’individus de la mouvance anarchiste». Peu probable qu’ils parlent pas de nous.
Les drones leur ont essentiellement permis de nous mater pendant qu’on prenait notre petit dej – et de confondre nos croissants et nos bonbons avec des projectiles. Ceux qu’on a pas mangé se sont transformés en festin pour flic.
Quand les flics arrivent devant le bât, il y a une quinzaine de personnes présentes devant. Iels interpellent 6 copaines pour «groupement» et un parent d’élève qui passait par là. Une personne a été légèrement blessée. Ensuite iels sont passé.es par chez un voisin (qu’on nommera Fred La Poukav, pour que ce texte paraisse sur PLI) pour faire des repérages. Après ça, les deux portails ont été ouverts mais on n’a rien vu.
Le bâtiment était presque entièrement vitré, donc imbarricadable. Le seul lieu dans lequel c’était possible de se défendre des flics était une salle blindée de coffre-fort planquée au sous-sol du bat, dans le noir, sans fenêtres. C’est donc là qu’il avait été décidé de se mettre en cas d’arrivée des flics. L’idée était de voir combien de temps c’était possible de résister au matos de la police, mais la grande question était surtout de savoir ce qu’iels auraient sous la main au moment où iels tenteraient d’expulser.
Mais c’était sans compter sur le VÉRIN HYDRAULIQUE.
Après avoir tenté plusieurs codes (oui oui.) pour ouvrir le coffre, les coups de bélier, tapé un peu partout dans les murs dans l’espoir de trouver un point plus faible que les autres, la porte blindée se tord en un coup de vérin. Iels finissent d’ouvrir la porte au pied de biche. Iels ouvrent au bout d’une quarantaine de minutes, on est aveuglé.e par les torches que les CRS nous braquent dessus. Les flics sont paniqué.es, iels ne savent pas combien de personnes sont à l’intérieur, y’a même un backeu qui braque son flingue sur nous. Iels crient «mains en l’air!!» et finissent par se calmer en voyant qu’il n’y a que 5 personnes. Tout le monde est interpellé, et monté un par un dans la cour.
Le vérin, il fallait y penser. »
Dans un jeu de devinette pour savoir s’iels sont des «monsieurs» ou des «madames», les copaines ont été interpellé.es dans la cour du bâtiment, sous le regard attentif de la caméra-épaule des flics.
Pas de perquiz, contrairement à ce que prévoit la nouvelle loi, mais l’évacuation d’un squat hors procédure à laquelle on ajoute un délit puni de deux ans, qui permet de mettre les genx en garde-à-vue.
Un concours de la plus grosse poucave rue de la Fédération
On a voulu s’installer dans un quartier de bourges : Montreuil limite Vincennes. Certain.es voisaines nous ont chaleureusement accueilli.es, sont venu.es dans le squat, nous ont prêté leur toilettes et même filé de la récup. Mais malgré les tracts, notre porte ouverte et le café tous les matins, des voisaines, plus nombreux.ses, ont carrément débordé de créativité pour nous déloger.
Comme ça a été évoqué là cette expulsion a été grandement facilitée par les voisaines vigilant.es. En plus des les menaces de mort, de notre électricité coupée, des allers-retours dans le jardin depuis chez le voisin avec coups de barre de fer sur le portail, du groupe whatsapp d’une quarantaine de voisaines pas content.es, et de la pétition; iels ont rempli le dossier des keufs. Dans le dossier, il n’y a rien de matériel, pas un début de tentative de trouver une voie de fait (entrée par effraction) ou des dégradations, seulement des pages et des pages de photos et de création de profil, fournies par des voisain-es venu.e.s porter plainte au comico.
Dès la manif du 1er, Géraldine SuperPoucav a appelé le service immobilier de l’État, pour l’avertir que des méchant.es squatteureuses ont investi le bâtiment des impôts désaffecté, dont il avait sûrement grand besoin. Peu satisfaite de sa poucaverie numéro 1, Géraldine a appelé les keufs dans la foulée (bien qu’iels étaient déjà sur place, pour la manif). Toujours pas rassasiée, notre SuperPoucav a rappelé le comico deux jours plus tard, avec de nouvelles infos. En l’espèce, elle détient la photo d’un passant qui n’a rien à voir avec le bourbier, qui devient un «guetteur» au yeux des enquêteurs. Brillant.
Désolé Géraldine, mais la palme revient à Fred Lapoucave – dont on a déjà parlé -, et à son fils. Voisins mitoyens du squat, ils ont pris plusieurs photos qu’ils ont filées aux flics. Mais ce n’est pas tout. Après avoir menacé des personnes physiquement, menacé de sortir une arme, menacé de massacrer quiconque rentrerait chez eux, et insulté à peu près tout le monde; Fred a carrément proposé aux flics de passer par chez lui pour avoir un accès facile au bat. Ce qu’iels ont fait. Il leur a aussi ramené notre sonnette au comico (un bout de papier avec un numéro de téléphone pour se faire ouvrir la porte, qu’il dit d’abord avoir décroché lui-même, avant d’inventer qu’il l’aurait trouvé dans sa boîte aux lettres).
Mention spéciale pour Chaz Balance De Lapoucaverie, nobliau vincennois qui n’aime ni les petits dejs sur la voie publique, ni les livraisons de bouteilles d’eau, mais qui fait des super photos avec son téléobjectif.
C’est la bourgeoisie dans tous ses états, qui panique parce qu’on s’approche un peu trop près et qu’on touche à son plus précieux bijou : la propriété. Elle nous l’a bien rendue.
À toutes les autres poucaves qui ont joué au concours de la poucaverie : on vous déteste aussi.
Gardes-à-vue, confusions et (anti)répression. Ou comment on a foutu le bordel avec nos gueules de queeros
Même si Fred Lapoucave avait l’air plutôt sûr de lui dans ses insultes sexistes et dans sa poucaverie niveau stalker («C’est presque que des filles. Je prends des photos d’eux tout le temps» a-t-il déclaré aux condés, photos à l’appui), les flics ont eu bien du mal à nous insérer quelque part dans leur schéma binaire.
À l’arrivée en gav, une seule personne avait des papiers, qui sont retrouvés par les flics lors de la fouille. Pour les autres, des identités plus ou moins genrées ont été données à l’oral, alors ça foutait le zbeul dans les petites cases de la police. Ça a donné des trucs un peu marrants : trans ou pas, on n’est pas genré.es deux fois de la même manière dans les PV.
Les noms qui ont été donnés étaient plus ou moins genrés, mais c’est surtout en fonction de l’apparence que les flics choisissent les cellules. Par exemple un pote qui était à peu près sûr d’être mis chez les meufs a choisi un nom neutre pour faire chier, un autre a choisi un nom féminin pour pas être identifié comme trans.
Y a aussi eu des trucs un peu moins marrants : un copain trans a passé les premières heures de GAV à l’isolement dans les chiottes, sans lumière et sans fenêtre, parce que les flics s’étaient mis en tête que c’était une personne transfem. «À force de taper sur les grilles et de gueuler»Rendez-nous X«, on a fini par récupérer notre pote, même si les flics n’ont pas changé leur avis sur son genre supposé. Comme quoi parfois, il faut juste crier longtemps.»
Un autre copain trans s’est fait fouiller l’entre-jambe avec beaucoup d’insistance, c’est pas très clair pour lui s’il s’agissait pas juste de satisfaire la curiosité malsaine de la keuf.
Malgré leurs questions «inclusives» (tu veux être fouillé par un homme ou une femme?), c’est encore un épisode qui nous confirme que le genre c’est toujours de la merde, et que dans un comico, ça peut vite devenir un moyen de pression supplémentaire.
Le fait d’être en cellule ensemble pour les potes a permis de gérer collectivement les trucs de genre, mais aussi de refuser ensemble les prises d’empreinte, d’anticiper un déferrement etc. Mais iels ont beau avoir perdu les keufs sur le genre, iels n’ont pas réussi à les perdre sur tout. Il ne leur a fallu que quelques heures pour retrouver les identités (avec filiation) de deux personnes, une au FPR (Fichier des Personnes Recherchées dans lequel figurent entre autres les fiches S) et une «dans les fichiers à leur disposition».
Pendant les auditions, il n’y a rien à déclarer, mais les flics posent parfois des questions en off. Ça à l’air d’en intéresser certains d’établir une sorte de «profil du squatteur», alors iels posent des questions sur la musique, les études, les projets et ambitions qu’iels jugent inexistantes. Iels ont l’air de s’amuser. Mais c’est souvent un moyen de nous faire parler sans qu’on s’en rende compte, et de récupérer des infos qui peuvent finir par charger le dossier. Quoi qu’iels fassent de ces infos, moins iels en savent mieux c’est!
Après une prolongation, 4 personnes sur 5 sont sorties avec convocation au bout de 28h de GAV, et une personne a été déferrée pour une CPVCJ [1] avec interdiction de voir 3 personnes. Parmis les personnes convoqué.es à la sortie du comico, 2 sont sorties sans que leurs identités n’aient été vérifiées par les flics.
Pour les 5 potes, c’est donc procès le 15 mars pour «introduction dans un local à usage d’habitation, agricole ou professionnel à l’aide de manoeuvres, de menaces, de voie de fait ou de contrainte»; et «refus de signalétique». Une personne est aussi convoquée pour «port d’arme» et «détention de stups», et 2 pour «fourniture d’identité imaginaire pouvant provoquer des erreurs au casier».
Ne jamais oublier le vérin hydraulique
Parce qu’on est super sympa, on a préparé une petite liste des trucs à penser pour se faire un peu moins boloss :
- Regarder les arrêtés préfectoraux (parfois ils sont publiés à 23h la veille)
- Finir ses croissants, sinon les flics les finiront pour toi
- Le vérin hydraulique. Penser au vérin hydraulique.
- Ne pas oublier de jeter ses déchets avant la fouille. Un petit couteau est vite requalifié en arme et s’iels veulent bien fouiller, iels trouvent même les plus petits pochons qu’on peut avoir sur nous (mais garder les sacs à caca, on sait jamais ça peut servir).
- Aller soutenir les potes au tribunal à Bobigny le 15 mars à 13h