Cette expulsion est, de ce que l’on sait, la première utilisation du délit d’introduction et maintien dans un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte contre un squat bien après son ouverture, en pleine procédure devant le juge de proximité. Cette expulsion a abouti sur un placement en CRA.
Communiqué initialement paru sur https://www.instagram.com/en_gare_de_montreuil/
C’est dans un état de choc, mais de combativité, que nous dénonçons l’expulsion du En Gare de ses locaux situés au 81 rue Michelet à Montreuil le 23 mai 2024, aux alentours de 7 heures du matin par un important dispositif policier. Le projet En Gare est né d’une volonté de jeunes de quartiers Montreuillois de sortir des cadres étroits auxquels ils sont souvent assignés. Nous avons choisi de créer une dynamique de solidarité autonome et construire des perspectives d’émancipation collective à travers la construction d’un espace de vie, d’accueil, d’activités et d’organisation.
Cette opération de police surprise et massive intervient alors que l’association était dans l’attente du délibéré de justice devant être communiqué fin juin et statuer sur une expulsabilité potentielle. C’est donc hors du cadre de la procédure que cette opération policière a été lancée et a conduit par un usage disproportionné de la force, non seulement nous a expulsé hors des locaux ainsi que l’ensemble des collectifs installés dans ce lieu mais également à conduire en garde à vue tous les habitants hébergés présents sur place, soit plus d’une dizaine de personnes !
C’est désormais 10 d’entre elles, gardées à vue l’ensemble de la journée, qui se sont vus assigner des OQTF (Obligation de quitter le territoire français) et une IRTF (Interdiction de retour sur le territoire français). Une autre est désormais placées en rétention administrative, menacées d’être envoyées en Centre de rétention administrative avant une possible expulsion. Ces centres sont des lieux de privation de liberté dénoncés par les concernés et les ONG.
D’après la Cimade, en 2023, 46 955 personnes ont été enfermées en rétention, un chiffre en constante augmentation depuis plusieurs années mais qui ne se traduit pas par une augmentation des expulsions. L’année 2023 a été particulièrement marquée par le décès de quatre personnes dans ces centres de rétention. C’est dans cette logique de valorisation foncière, face à la grande difficulté d’accéder à des locaux non marchands et de se loger dans des conditions dignes que l’association a réquisitionné en mai 2023 un bâtiment vide de la Fondation Croix Saint-Simon situé dans le bas Montreuil, quartier vidé au fil des années de ces habitants les plus pauvres. Depuis près d’un an, nous avons coordonné grâce à notre équipe, dont 4 jeunes en service civique, l’hébergement d’une vingtaine de personnes et nous avons mis en place de nombreuses activités sociales et culturelles :
- La cantine relogée du foyer Bara
- Un café associatif
- Des permanences d’aide administrative
- Une association travaillant à transformer la prise en charge des
questions psychatriques - L’atelier de menuiserie
- L’atelier de couture
- L’atelier de maroquinerie
- L’atelier de peinture
- Le ciné-club de l’association Médiatess
- Le studio d’enregistrement
- La Salle informatique
- Des cours de boxe, de danse, de musique, de théâtre
- Des permanences de l’association Timmy Ss’occupant des jeunes
mineurs isolés, - Des activités en partenariat avec le club de prévention Jeunesse feu-
vert, - Des maraudes tous les vendredis
- Des réunions de collectifs politiques
Nombre d’entre nous ont de la famille, des frères et Sœurs, des voisins et voisines de quartier qui appréciaient, fréquentaient ou avaient été aidées par les activités de l’association. Cette procédure constitue un détournement manifeste d’une procédure pénale. En effet, des fonctionnaires de police ont, sur instruction du parquet de Bobigny, et sous couvert d’une enquête ouverte du chef d’occupation illicite (infraction prévue et réprimée par l’article 315-1 du Code pénal), procédé à l’expulsion et au placement en garde à vue d’une partie des occupants du bâtiment. Ils ont en outre interdit aux autres occupants de le réintégrer et, concomitamment, ont permis à une société de sécurité privée dépêchée par le propriétaire de sécuriser le bâtiment pour en interdire l’accès.
L’infraction prévue par l’article 315-1 du Code pénal, créée par la loi Kasbarian-Bergé, est pourtant entrée en vigueur en juillet 2023 alors que l’association occupait déjà les lieux. Reprocher ce délit était donc une violation manifeste du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. En outre, une enquête pénale ne saurait conduire à l’expulsion d’occupants à des fins d’habitation ou interdire aux autres occupants de revenir dans ce qui est devenu leur domicile faute de toute autre solution de logement ou d’hébergement. Qui plus est lorsqu’un magistrat du siège, autorité judiciaire, est en cours de délibéré. Cette pratique, qui se répand de plus en plus dans notre département de la Seine-Saint-Denis, constitue un dysfonctionnement manifeste du service public de la justice et doit cesser.
Le En Gare est une association qui existe depuis plusieurs années dans la perspective de construire des espaces de solidarités et d’auto-organisation et de lutter contre les processus de destruction sociale, de précarisation et d’atomisation s’accentuant toujours d’avantage. Nous sommes notamment tournés en direction des personnes qui doivent faire face aux politiques racistes, toujours plus précarisés et réprimés par des pratiques policières violentes et un ensemble de mécanismes de répression et d’encadrement permanent. Ces mesures se déploient notamment par la restriction de plus en plus conséquente de l’accès à l’espace par des logiques de valorisation foncière, qui excluent et déplacent celles et ceux qui ne peuvent y participer mais constituent pourtant la force de travail sur laquelle repose ces dynamiques. C’est sous le motif de l’amélioration et de la « mixité sociale », que les Programmes de démolition des quartiers HLM dénoncés par ses habitants et les politiques de rénovation des centres urbains conduisent à expulser et déplacer leurs habitants et à empêcher que se déploient les formes d’auto-organisation et de solidarités qui tentent de s’y construire.Cette expulsion tente donc de mettre fin à un espace de socialisation et de solidarité.
Nous dénonçons le comportement ambigu des dirigeants de la Fondation Croix Saint-Simon, qui, revendiquant pourtant des activités sociales, a largement préféré conserver son patrimoine et déconsidérer le travail Social de l’association en refusant le dialogue. Les dirigeants, à l’encontre de la logique de soin de celles et ceux qui y travaillent, a pris la responsabilité de déclencher une procédure d’expulsion surprise participant
ainsi à la logique raciste en cours par l’enfermement, l’expulsion et la fragilisation des étrangers.
Cette expulsion intervient dans un contexte d’avancée conséquente des mesures racistes et islamophobes. C’est contre cette logique que nous nous attelons, auprès de l’ensemble des collectifs en lutte, à construire d’autres perspectives. Nous interrogeons également la temporalité dans laquelle cette expulsion intervient, qui précède l’accueil de l’Assemblée Nationale des Quartiers, qui devait avoir lieu ce samedi 24 mai, et entend construire une force politique autonome depuis nos quartiers.
Nous condamnons cette expulsion déloyale, nous exigeons des mesures d’hébergement pour nos camarades délogés, l’obtention de cartes de séjour et l’abandon des poursuites administratives à leur encontre, et revendiquons auprès de la mairie de Montreuil l’obtention d’un local pour continuer de mener nos activités. Nous restons ouverts à la possibilité de rencontrer et échanger avec le Maire de Montreuil ainsi que ses adjoints au logement et à la vie associative afin de trouver des solutions.
Nous vous invitons à nous rejoindre dans la lutte !